Jusqu’ici, tout allait bien. On m’avait laissé dans mon coin et je faisais mon travail. Il y avait bien cette jeune fille qui m’avait invité à danser, plein d’espoir, mais elle avait pris mon silence pour un refus pendant que je cherchais comment lui dire non sans qu’elle le prenne trop mal. Je n’étais pas certain que c’était pour le mieux, mais au moins, j’étais tranquille. Je n’avais pas souvenir d’avoir dansé une fois dans ma vie… Je devrais apprendre, sans doute, ne serait ce que parce que ce pourrait être utile pour une couverture. Mais… La danse passait par les émotions, non ? Même en me concentrant sur la technique, je craignais de ne ressembler qu’à une planche de bois en pleine tempête.

Un mouvement sur la droite attira mon regard glacial. Mais ce n’était qu’un collègue, et ses verres de champagnes. Pas de mal ? Je suppose que je paraîtrais plus naturel avec un verre à la main. Et ça me ferait une bonne excuse pour ne pas aller dancer. Je n’avais qu’à ne pas le finir.

Je pris le verre avec un “Merci” aussi froid que d’habitude. Je n’avais guère d’espoir de me mettre à l’aise avec cette foule dansante en face de moi. Mais l’homme semblait vouloir faire la conversation. C’était un collègue, je devais faire un effort… Je le voulais. Mais ce n’était pas simple.
Je hochais la tête pour confirmer mon nom. Meilleure interaction qui soit…

Pas très causant ? c’est ce qu’on appelait un euphémisme. Pour peu, on aurait pu croire que j’étais muet. Et quoi qu’en disait mon collègue, l’alcool ne m’aidait pas. D’autant que je n’avais aucune intention de boire pendant le service. Même si ça aurait suspect de juste tenir le verre, alors je trempais à peine mes lèvres dans le champagne. Il n’était même pas bon. Définitivement, je ne le finirais pas.

Fascinant ? Je ne savais si je l’étais mais son intérêt me mettais mal à l’aise. J’avais un peu l’impression d’être une bête de foire. Mais peut être essayait il juste de m’arracher quelques mots. Je me forçais à desserrer les dents. Juste le temps de dire :

« Les deux. »
Ce n’était pas tout à fait vrai. Je n’étais pas vraiment stressé, juste… terrifié et concentré sur mon travail pour ne pas simplement tourner les talons en vitesse ? J’en étais à espérer qu’il se passerait quelques choses qui justifierait notre présence. Mais le dispositif déployé était tellement important que c’était peu probable.
Et je m’en voulais un peu de souhaiter que ces gens heureux qui dansaient soit mis en danger simplement pour que je puisse m’échapper de cette situation…

Il insistait avec son alcool. Si j’avais été plus paranoïaque, j’aurais pu croire qu’il essayait de me fair boire. Mais il était sans doute en train de chercher un moyen de communiquer. Après tout, Riley avait fait la même… Oh. Je devrais peut être commencer à être parano. Mes collègues semblait déterminer à me voir bourrer. … Bon courage.
Ou alors, il aimait juste l’alcool. Vu comment il se promenait avec le sien en. service. Je lui adressais un regard légèrement réprobateur.

Sourire ? Il en avait de belle. Je fronçais les sourcils. C’était frustrant. Je l’avais trop entendu : “essai de sourire”, “c’est facile, il suffit de parler”, “tu pourrais être plus expressif”. Non. Je ne pouvais pas. Je soupirais intérieurement. Ce n’était pas sa faute.

« Ce n’est pas que je ne veux pas. »
Je pense que s’il avait suffit de le vouloir, mon père aurait réussi depuis longtemps. Il changea la conversation sur son fils et je suivis son regard. C’est vrai qu’il était le père d’un exécuteur. Ce ne devait pas être facile. Ca expliquait peut être son intérêt pour la boisson. Perché sur la pointe des pieds, il essayait de voir où il allait. Personnellement, je balayais l’opposé de la piste du regard. Je venais de repérer ce que je cherchais quand il me posa une question.

« Deux ans. »
Peut être un peu moins, mais ça n’avait guère d’importance. Je jetais un nouveau coup d’oeil à l’endroit où son fils avait disparu, puis celui que j’avais repéré. Oui.

« Tu pourras voir ton fils de là-haut. »
Je lui désignais l’estrade sur laquelle était posée plusieurs enceintes non utilisés. C’était à l’arrière de la piste de danse et dans l’ombre, mais ça devrait nous offrir une vue dégagée sur la zone où le petit essayait de se dissimuler. Nous ? … Pourquoi pas après tout.
Le verre toujours en main, j’avançais vers l’endroit désigné. Comme ça, il ne penserait pas que je l'invitais à me laisser tranquille.. Du moins, j’espérais.

J’avais déjà vu des gens dans le déni, mais là c’était fort. Je le laissais chercher des justifications à notre espionnage. Personnellement, le simple fait de pouvoir m’éloigner un peu de la foule me suffisait. Même si je devais avouer que la situation m’amusait un peu. Lui, tout particulièrement. Il me faisait penser à ma mère, très protecteurs mais qui ne voulait pas se l’admettre. Enfin, j'espérais que son fils n’avait pas les même problème que Naoki… J’avais besoin d’une clope.

Je levais presque imperceptiblement un sourcil à sa question. L’infiltration et la filature ? Avec ma tête à faire peur ? Je me ferais repérer direct. j’allais lui répondre que j’étais tireur d’élite quand une alerte résonna en moi : je ne savais toujours pas si des policiers n’étaient pas en lien avec ma cible. Et même si mes capacités n’était pas vraiment un secret, inutile de le crier sur les toits. Je me cachais derrière mon mutisme pour ne pas le contredire. Au moins, j’étais sûr que ça n’aurais pas l’air bizarre.

Il ressortit sa flasque et une remarque. Je secouais la tête négativement.

« Même s’ils regardent par ici, ils ne nous verront pas. »
Je désignais les spots lumineux, accroché au dessus de nous. Petit, mais éblouissant. Dans leur ombre, nous pouvions à peine être détecté. Mais comme nous n’avions pas non plus de raison de nous cacher : après tout, nous étions la sécurité, je sortis mon briquet et mon paquet de cigarette. Une fois la mienne allumé, je le lui tendis. Je ne savais pas si il fumait, mais… je n’allais pas le ranger sans lui en proposer.

Et je ne devais pas non plus rester en silence, si je voulais me sociabiliser...

« ... Pourquoi... Pourquoi vous vous inquiétez pour lui ? »
C'était un sacré effort et j'étais terrorisé par l'idée que ce puisse être la pire question possible, mais... Avec de la chance, il se lancerait dans un monologue et je n'aurais qu'à hocher la tête.

Le paquet de cigarette retourna dans ma poche, le briquet lui, cliqueta une fois de plus pour allumer le cigare qu’il me tendait. Et je n’avais absolument aucune idée du genre de sous-entendu auxquels ils pouvaient faire allusion. Enfin, si, mais cela me semblait tellement improbable en ma compagnie que je ne comprenais pas vraiment où il voulait en venir. Je mettais ça sur le compte de sa légère alcoolisation. Comme sa remarque précédente. Je me voyais mal agresser quelqu’un qui viendrait se perdre par ici… De toute façon, ce ne serait pas nécessaire. Un simple regard et il partirait, n’est ce pas ? Je soupirais intérieurement.

Une enfance difficile ? Bien. J’avais encore parfaitement réussit à poser la question qu’il ne fallait pas. Et pour rien arranger, son monologue ne dura pas plus deux phrases. Bien, je devais donc faire la conversation. Mais que dire ? J’ai un frère dans le coma, un père qui me ressemble - ou l’inverse mais ça revenait au même - et une mère charmante ? Trop long.

« Normal. Ils vivent à Jotho. »
Oh. Je n’aurais sans doute pas dû dire ça. Tout comme le fait que j’étais un sniper, que je vienne de Johto n’était techniquement pas une information secrète, mais elle pouvait mettre un ripoux sur la piste de celui qui chassait Miyagawa. Non pas que je croyais mon collègue ripoux, non. Je me savais juste beaucoup trop mauvais pour cerner les gens pour faire confiance à mon jugement et par conséquent, je préférais me méfier de tout le monde.
Noyons l’information. Mais qu’est ce que je pouvais dire ?

« Mon père est comme moi. Ma mère est normale. »
Bien. J’étais donc anormal. Ce n’était certes pas tout à fait faux, mais je doutais que ce soit bien accepté...

Pour le noyage de l’information, c’était raté. Je voyais mal les habitants de Jotho devenir les meilleurs dresseurs… Après tout, ce n’était pas pour rien que j’avais grandi sans pokemon : il n’y en avait pas plus qu’ailleurs. Les jolis paysages de Jotho avait pris des allures de mégapole, comme partout. Rosalia échappait un peu aux immeubles, parce que la culture avait une valeur marchande. Mais les hôtels des environs ne laissaient que peu de place au forêt. Mais, venant de Doublonville, j’étais plus à l’aise en milieu urbain de toute façon.

Je grimaçais intérieurement à sa remarque. Il avait cerné les problème, mais par contre, il en avait oublié le tact. Je me contentais d’un vague haussement d’épaule pour toute réponse. Que voulez vous répondre à ça ? “Pardon d’être un handicapé social ?”. Mes efforts, jusqu’ici, n’avait pas mené à grand chose et je commençais à me sentir frustré. Et fatigué surtout.

Je fronçais les sourcils quand il souligna l’absence de son fils. Même en balayant la foule du regard, je ne parvenais pas à le retrouver. J’étais plutôt bon à trouver charlie en temps normal… Mon niveau d’alerte monta encore d’un grand en le voyant levé sa fiole à nouveau.

« Non. » Rester professionnel rendais les choses plus faciles. « Vous restez ici et envoyez un message à votre fils, il n’est pas censé quitter la scène en service. Je vais m’assurer qu’il n’y ait pas de débordement. »
Je n’avais aucune idée de comment j’allais faire cela, mais ça, c’était un autre problème. Pour le moment, je devais gérer celui de l’homme qui avait beaucoup trop bu pour avoir les idées parfaitement clair.

La réponse de mon collègue confirma mes craintes. L’alcool l’avait sous son emprise. Je n’aimais pas ça. Pour le moment, il me paraissait plus dangereux que les civils qui s’écartaient peu à peu de la piste de danse pour se trouver une place. Le feu d’artifice avait été bien annoncé, et hormis, quelques paumés et quelques bourrés, il ne devrait pas y avoir de débordement. Même si le couvert des explosions seraient une bonne cachette pour un tireur.
Mais pour le moment, le seul homme armé et potentiellement dangereux que je voyais, était en face de moi.

Mon regard s’assombrit davantage devant le traitement qu’il infligea à cette pauvre enceinte. Et lorsqu’il porta la main à son arme, un calme froid m’envahit.

« Ce n’était pas une requête. Lâchez votre arme et restez ici. »
Un reflet lumineux éclaira mes menottes. Le message était clair, s’il refusait de se tenir tranquille, je serais obligé de le neutraliser. Le fait qu’il soit un collègue ne me faisait ni chaud ni froid. Mais je devais tout de même lui rappeler un fait :

« Si votre fils avait commis un grave crime ou était en danger, Sibyl aurait lancé un avertissement. »
C’était un exécuteur après tout. Sibyl l’avait encore plus à l’oeil que toutes ces personnes. Et vu que nous n’avions reçu aucune alerte… Il était fort probable qu’il soit simplement en train d’éviter de faire son travail. Du moins je l’espérais. Mais quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas laisser un flic alcoolisé et manifestement tendu partir avec son arme. Que ce soit pour la sécurité des civils, ou la sienne.

Le mépris complet que me montrait mon collègue ne me fit ni chaud, ni froid. J’étais trop occupé à calculer les risques et il n’était pas en état de dire le fond de sa pensée. Je l’observais s’installer sur une caisse d’enceinte. Bien, il ne semblait plus prêt à se jeter dans la foule. Malgré ses dires, sa surveillance ne serait pas très utile. Et de toute façon, nous pouvions le faire d’ici… Tant que tout se passait bien.

Jetant des coups d’oeil de temps à autres à Foxtrot, je tournais mon attention vers la scène. Envoyant au passage un message au collègue signalant que je surveillerais d’ici. J’hésitais à ajouter une note sur l’état de l’inspecteur qui m’accompagnait mais je me retins. Cela lui attirerait plus d’ennui qu’autre chose.
Je le regrettais presque à présent qu’il s’était lancé dans une tirade sur son vieil âge. Il fallait dire qu’il faisait vraiment vieux con, occupé qu’il était à se plaindre de la délinquance, de son travail et de sa - ex ? - femme. Est ce qu’il réalisait qu’il n’avait que dix de plus que moi ? Je l’ignorais, mais je n’étais pas près à lui donner cette information. J’avais l’impression que quoi que je puisse dire, cela ne ferait que l’encourager à se plaindre davantage.

Je finis néanmoins par prendre son invitation à partir. Pas parce que je voulais m’éloigner, mais parce que j’apercevais d’ici une table avec de l’eau et que - mépris ou pas - si je pouvais lui éviter une sérieuse gueule de bois, je le ferais. Je lui jetais un oeil et un simple :

« Ne bougez pas d’ici. »
Avant de descendre d’un bond sur la scène et d’aller chercher l’eau à grandes enjambées.

Les techniques ? ... Ouai. Vous me croiriez si je vous disais que mon frère buvait régulièrement ? Alors, ça ne dépassait pas la bière ou deux, mais à quatorze ans, il n’en fallait pas beaucoup plus pour se mettre par terre. Surtout quand on ne tenait pas l’alcool.
Mais l’homme en face de moi avait beaucoup plus que quatorze ans, et il n’avait pas bu que de la bière.

Jamais eu la gueule de bois… Il devrait peut être, ça lui apprendrait. Mais je me retins de commenter. C’est dire à quel point il ma tapait sur le système, pour que je sois obligé de me retenir de parler… Le laissant à ses remarques divers, je posais mon regard sur la foule. J’étais là avec un travail. Nous étions là pour un travail, même si certains l’avaient oublié…

Gardant pour moi les remarques de désapprobation qui me venait à l’esprit : “il n’y a pas que lui qui manque de sérieux ce soir…”, je me concentrais sur notre tâche et sur les badauds le nez levé. Tout en gardant un oeil sur mon collègue.

Mais surprenament, il tenait le coup. Et les civils, les yeux rivés sur les couleurs du ciel ne remarquerait sans doute rien. La soirée allait peut être se passer sans problème finalement… Il ne nous restait plus qu’à attendre que la foule se disperse et à rentrer chez nous.

…Je jetais un oeil à l’inspecteur Foxtrot. ... Je devrais peut être m’assurer qu’il rentre effectivement bien chez lui...